LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Quotidien géopolitique – Geopolitical Daily/
2021 01 06/
Série III/2020-1312

« La Turquie et la Russie pourraient entrer en conflit armé en 2021 », estiment des médias occidentaux selon qui « la confrontation pourrait se faire en Syrie, en Libye ou même aux frontières russes ».

Selon le rapport de Foreign Policy : « La Russie et la Turquie ne sont pas en guerre, mais soutiennent souvent des camps opposés comme ce qui se passe en Syrie et en Libye. Ainsi, les deux pays se disputent le pouvoir au Caucase. L’accord de mars 2020 entre Moscou et Ankara a mis fin aux combats à Idlib, le dernier foyer des rebelles dans le nord-ouest de la Syrie, et a montré à quel point les deux parties ont besoin l’une de l’autre. La Russie s’attend à ce que la Turquie applique le cessez-le-feu à Idlib. Ankara reconnaît qu’une autre offensive de l’armée syrienne, qui pourrait conduire à un afflux massif de centaines de milliers de Syriens en Turquie, dépend du soutien aérien russe. Mais le statu quo est décevant: la guerre en Syrie n’est pas encore terminée, et une autre offensive à Idlib avec le soutien de la Russie reste possible. »

Pourtant en Libye, un conflit entre la Russie et la Turquie est considéré comme improbable. Officiellement l’armée russe n’est pas présente dans ce pays, bien que l’armée nationale libyenne, la milice de Haftar, utilise activement des services () et des armements russes.

LES POUDRIERES DE SYRIE ET DU CAUCASE

Mais Les forces aérospatiales russes ont lancé des dizaines d’attaques contre les terroristes en Syrie. Et le Caucase est une autre région où un conflit entre la Turquie et la Russie est possible. Car les tensions persistent au Nagorno-Karabakh, où toute provocation pourrait conduire à de nouvelles attaques de l’Azerbaïdjan et de la Turquie contre le reste de la NKR (République autoproclamée du Haut-Karabakh), sans parler du fait que l’armée de plusieurs milliers de militaires turcs, avec leurs supplétifs djihadistes, est à seulement 10 kilomètres de la frontière avec l’Arménie.

La Russie et la Turquie ont également déjà été impliquées dans la récente guerre du Haut-Karabakh. La Russie a une alliance militaire avec l’Arménie, membre comme Moscou de l’OTSC, mais a évité de choisir un camp lors de ce conflit ce qui a mené à un cessez-le-feu imposé par les russes, qui a mis fin aux combats. La Turquie a fourni un soutien diplomatique et militaire direct à l’Azerbaïdjan, à l’aide de ses drones et des drones israéliens qui ont visé les positions de la défense aérienne de l’Arménie.

IDLIB LA DERNIERE BATAILLE DE LA GUERRE DE SYRIE

En signe de soutien à l’armée syrienne, les forces russes lancent des frappes contre les positions terroristes (parrainés par les turcs) dans le nord de la Syrie, où Ankara ne cesse d’envoyer des troupes en violation des accords avec Moscou. « En riposte à une attaque lancée contre l’armée syrienne, les forces aérospatiales russes ont mené le jeudi 31 décembre une série de frappes puissantes contre les positions des terroristes de Daech dans les régions désertiques en Syrie », a rapporté Avia.pro, site russe, faisant état de « la mort de huit à douze terroristes ». Parmi les bases qui ont été « ciblées à au moins 60 reprises, figure un quartier général de Daech que les chasseurs russes auraient frappé à l’aide des images satellites », précise Avia.pro.

LA FAILLITE DE ASTANA ET SOTCHI

L’armée russe se déploie dans le nord de la Syrie pour prendre Idlib, alors que le dossier d’Idlib aurait dû être clos dans un délai de deux mois maximum après la signature de l’accord de Sotchi entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine le 17 septembre 2018. « Loin d’avoir atteint son objectif initial, l’accord ne s’est pas non plus avéré efficace pour contribuer à résoudre définitivement la crise en Syrie » indique le site web de la chaîne de télévision libanaise, Al-Mayadeen.

En effet, depuis cette date, le président Erdogan n’a manqué aucune occasion pour saper les efforts des parties syrienne et russe visant à libérer Idlib, allant jusqu’à faillir se lancer dans une guerre directe. Face aux démarches intolérables d’Ankara, le président syrien Bachar al-Assad a ordonné la libération de toutes les zones d’Idlib à l’armée syrienne qui le 27 février 2020 a affronté pour la première fois directement les troupes turques. Par la suite, Moscou et Ankara se sont engagés dans de nouvelles négociations qui ont abouti à un nouvel accord le 5 mars dernier rejetant toute action militaire visant Idlib.

Sans aucun doute, la colère de la Russie contre les comportements de la Turquie en Syrie n’a pas dissuadé le président Erdogan de poursuivre sa politique à Idlib. Toutefois la pression de Moscou a empêché l’envoi de plus de troupes dans la région où les Turcs se sont retirés de huit postes d’observation. Cependant tout laisse à croire qu’Ankara recourt à une nouvelle stratégie militaire qui s’ajusterait aux faits sur le terrain ; au lieu d’établir des postes d’observation avec 80 à 200 soldats, la Turquie cherche à construire d’immenses bases militaires à Idlib pour atteindre ses objectifs.

À l’heure qu’il est, le nombre de soldats turcs dans le nord de la Syrie se chiffre à 15 000 et la Turquie y envoie quotidiennement de nouvelles troupes. Soutenue par une variété d’armes aériennes et navales, de satellites et de drones, l’armée turque a déployé 6 000 chars, des véhicules de transport de troupes, des artilleries et des blindés dans le nord de la Syrie.

LA TURQUIE EN RECUL EN SYRIE :
LES FORCES TURQUES SE RETIRENT D’AL-EISS

Les forces turques se sont complètement retirées des zones contrôlées par l’armée syrienne. Les turcs ont évacué leur dernier poste d’observation dans les zones contrôlées par l’armée syrienne dans la province d’Alep (nord). Selon Fars News, « l’armée turque s’est retirée, mardi 29 décembre, de son dernier poste d’observation dans la zone al-Hadba al-Khadra à la périphérie d’Alep, ne laissant aucun autre quartier général dans les zones contrôlées par l’armée syrienne ». Selon Interfax, « les forces militaires turques ont évacué 20 camions transportant leur équipement autour de la ville d’al-Eiss au sud d’Alep. Les camions ont été escortés par la police militaire russe. La Turquie avait commencé à démanteler le siège il y a une vingtaine de jours ». Après avoir quitté la zone, « le convoi de l’armée turque a traversé l’autoroute Alep-Damas et est entré dans les zones occupées par les terroristes dans la province d’Idlib ».

Al-Hadba al-Khadra était le dernier quartier général de l’armée turque dans les zones contrôlées par le gouvernement syrien. Suite à l’accord avec le gouvernement russe, la Turquie avait précédemment retiré ses forces des postes d’observation d’al-Rashedin, Cheikh Aqeel Qabtan al-Jabal, Jabal Andan et Moammal al-Kurani. Début 2020, l’armée syrienne a pris le contrôle d’al-Eiss, des villages et des hauteurs de la zone pour encercler les postes d’observation de l’armée turque.

Dans une reculade précédente, les groupes terroristes soutenus par Ankara avaient subi lundi des coups durs de l’armée syrienne. « D’intenses attaques ont été menées par l’armée syrienne contre les positions des groupes terroristes dans le sud d’Idlib. Elle a ouvert le feu sur leurs positions à Jabal al-Zawiya, ont annoncé des sources syriennes. Au total 130 roquettes et obus ont été tirés sur al-Fatterah, Sufuhon et al-Bara dans le sud d’Idlib. Plusieurs terroristes ont été tués ».

QUAND ERDOGAN TENTE D’INVERSER LA DONNE

Ain Issa fait mal et le Sultan le laisse apparaître ! Alors que les renforts viennent de débarquer ce mercredi 30 décembre en provenance de la Turquie dans la banlieue sud d’Idlib et plus précisément à Jabar al Zawiya, où Ankara dit « vouloir ériger un poste d’observation » comme pour masquer et maquiller la débandade du Sultan sur l’autoroute M5 et ses tentatives désespérées de reprendre M4, et ce, dans « le strict objectif de couper la route stratégique donnant à la côte ouest-syrienne », trois militaires russes ont été blessés lors d’une attaque menée à Tal al-Akhdar par les groupes terroristes soutenus par la Turquie. Or la localité située à Idlib a été récemment évacuée par les forces turques. C’est donc un combat du corps à corps que le Sultan souhaite avec la Russie, et ce, sur fond de l’arrivée des « démineurs turcs » dans le Haut-Karabakh que certains analystes estiment être une tentative du Sultan destinée à s’infiltrer à pas de loup dans le pré carré caucasien de la Russie.

« En mission de surveillance dans l’après-midi du mardi 29 décembre près de Trumba dans le sud-est de la province d’Idlib, une patrouille militaire des forces armées russes a été la cible d’un missile antichar des terroristes pro-Ankara depuis une zone qu’ils contrôlent dans le nord d’Idlib », a rapporté le site web Avia-pro. Cité par Al-Masdar News, le chef adjoint du Centre russe pour la réconciliation des parties en conflit en Syrie, le contre-amiral Vyacheslav Sytnik, a annoncé que « l’incident s’est produit alors que l’armée russe avait pour mission de s’assurer du retrait des troupes turques du poste d’observation à al-Akhdar dans la zone de désescalade au sud-est d’Idlib ».

Confirmée par le ministère russe de la Défense, l’attaque s’est soldée par la destruction du blindé et fait trois blessés parmi les forces russes.Les victimes ont été rapidement transférées vers un hôpital militaire. « Rien ne menace leur état de santé », a toutefois déclaré le chef adjoint du Centre russe pour la réconciliation des parties en conflit en Syrie, soulignant que « la direction du Groupe des forces russes en Syrie œuvrait en coopération avec l’armée turque et les services de sécurité syriens à identifier les auteurs de l’attaque ».

Après une accalmie relative de plusieurs semaines, certaines régions à Idlib, situées notamment dans l’ouest de la province, sont à nouveau témoins de tensions créées par les groupes terroristes Huras al-Din, Ansar al-Tawhid et Tahrir al-Cham. Les observateurs iraniens y voient « la manifestation de la mauvaise humeur du Sultan qui a du mal à se rendre à l’évidence qu’est la suivante : le Haut-Karabakh a été un échec, Idlib l’est aussi et Ain Issa ne sera pas mieux ». En prévision à l’arrivée des forces turques, « les terroristes ont à plusieurs reprises tiré des obus de mortier sur les positions de l’armée syrienne à Jabal al-Zawiyah dans le sud de la province d’Idlib. Mais l’armée syrienne n’a pas laissé les attaques sans riposte ».

« LA TURQUIE AURAIT INTERET A AVOIR UNE VISION REALISTE DE LA SITUATION EN SYRIE »

« La Turquie aurait intérêt à avoir une vision réaliste de la situation en Syrie. » Signe du désarroi à Ankara, le ministre des AE a évoqué ce 30 décembre un deal avec une Amérique qui s’apprête à une douloureuse passation du pouvoir : le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a annoncé que « les États-Unis d’Amérique avaient accepté l’offre d’Ankara d’étudier les complexes russes S-400 Triumph pour leur travail et les menaces de l’OTAN, en échange d’une révision de la décision américaine de vendre des chasseurs F-35 de cinquième génération à la Turquie » …

«La Turquie et les États-Unis d’Amérique ont entamé des négociations pour mettre en place un groupe de travail conjoint sur les sanctions américaines imposées dans le cadre de l’achat par Ankara de systèmes de défense antimissile russes S-400 », a déclaré encore le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu. Washington a imposé des sanctions à la Direction de l’industrie de la défense (SSB), alliée de l’OTAN, la Turquie, à son patron Ismail Demir et à trois autres employés ce mois-ci à la suite de l’acquisition par la Turquie du S-400. S’exprimant lors d’une conférence de presse mercredi, Cavusoglu a déclaré que « le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait exprimé son intérêt pour la création d’un groupe de travail conjoint » (pour évaluer l’impact potentiel du S-400 sur les systèmes de l’OTAN – ndlr.) « – selon « Reuters ».

Pied de nez turc à l’adresse de la Russie? Peut-être. Mais cette aussi un aveu d’impuissance. Les experts notent que l’ingérence dans le fonctionnement des complexes S-400 Triumph produits par la Russie peut entraîner des conséquences imprévisibles, car la Russie sait se venger.

Les sanctions américaines contre l’industrie militaire turque ont coïncidé avec la décision d’Ankara de quitter un à un ses postes d’observation dans le nord de la Syrie. Quelle est la situation actuelle de la Turquie en Syrie ?

POURQUOI LES RELATIONS ENTRE LA TURQUIE ET LA RUSSIE ?

Les relations entre la Turquie et la Russie se sont considérablement développées ces dernières années. Certains analystes estiment que le renforcement des relations entre Ankara et Moscou était dû aux politiques inadéquates de Donald Trump, aux positions dures de l’Europe et à la marginalisation de la Turquie. Se référant à certains titres de la presse turque, l’agence de presse Tasnim s’attarde sur le sujet :

Mais d’autres analystes sont d’avis que le renforcement de ces relations doit être évalué dans le contexte d’un changement d’approche politico-économique de la Turquie. En partenariat avec Poutine, l’équipe d’Erdogan a obtenu un certain nombre d’avantages sans précédent dans l’histoire des relations bilatérales.

Certains de ces avantages peuvent être classés comme suit :

1. La Turquie aura dans un proche avenir sa première centrale nucléaire grâce à la Russie, ce qui est vital pour Ankara.
2. Le projet du gazoduc TurkStream et le transfert de ressources énergétiques de la Russie sous la mer Noire vers la Turquie, et de là, vers l’Europe ont relancé l’économie et le secteur énergétique turcs.
3. La Russie, compte tenu des avantages économiques et des résultats politiques positifs qu’elle a constatés dans ses relations avec la Turquie, a permis à Ankara de se rapprocher de la République d’Azerbaïdjan et du monde turc dans le Caucase du Sud et dans le conflit du Haut-Karabakh.
4. La Russie et la Turquie ont continué de coopérer et de s’entendre sur des questions sensibles telles que la Libye et la Méditerranée orientale, malgré toutes les divergences de vues.

LA MEDITERRANEE ORIENTALE EST PLUS IMPORTANTE POUR ANKARA QUE LA SYRIE

« Alors qu’au cours de ces dernières années, les ingérences de la Turquie dans la crise syrienne ont rendu la situation plus difficile et plus compliquée pour Damas, maintenant et en termes d’intérêts nationaux et d’importance militaire et économique, le renforcement de sa présence en Méditerranée orientale est devenue la priorité absolue pour l’équipe d’Erdogan », estiment les experts iraniens. Apparemment, le dossier syrien a perdu son importance passée pour cette équipe.

« Ceci étant dit, il convient de noter que la Russie et l’Iran, dans le cadre de la coopération régionale d’Astana, ont fait leur mieux afin d’utiliser les capacités de la Turquie pour contenir la crise syrienne, mais certaines actions unilatérales de la Turquie ont créé de nouveaux problèmes ». Si la Turquie cherche à changer l’approche globale envers la question syrienne et à avoir une vision réaliste de la situation dans ce pays, il y aura plus de place pour le développement des relations et de la coopération entre l’Iran, la Turquie et la Syrie.

Dans le même temps, ces derniers mois, les relations entre la Turquie et la Russie se sont sérieusement refroidies, bien qu’il n’y ait pas de véritable raison de confrontation.

(Sources : Interfax – Reuters – Tasnim – Pars Today – Avia-pro – Al-Mayadeen – EODE Think Tank)

Carte :
Idlib et le nord-est syrien, le 11 juillet 2020.

LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE

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