Partie II

Entretien de Luc MICHEL avec Kornel SAWINSKI :

JEAN THIRIART,
LA GEOPOLITIQUE ET L’EURASIE

Réalisée dans le cadre de la préparation d’une
Thèse de doctorat de Sociologie
soutenue devant la Faculté des Sciences Sociales
de l’Université de Silésie (Katowic, Pologne)
par Kornel SAWINSKI.

* KORNEL SAWINSKI :
Vous évoquez « un climat politique particulier » qui a favorisé la naissance du PCN et le retour de THIRIART à la politique active. Pourriez-vous mieux expliciter ceci ?

LUC MICHEL : Il faut tout d’abord partir du climat politique européen dans lequel se crée le PCN. Parce qu’autrement on ne comprend pas les choses. Mais cela n’a été analysé par aucun politologue. C’est l’époque où toute l’Europe est partagée et parcourue par les grandes manifestations pacifistes contre les « Euromissiles » américains.
Il y a une agitation importante et en Allemagne se développe un phénomène intéressant. Il y a ce que l’on appelle la naissance du mouvement « national-neutraliste », la « Gauche nationale-neutraliste ». Beaucoup de politologues on dit que ce mouvement avait des connotations national-bolcheviques (42), c’est aussi intéressant pour la suite. De ce mouvement vont sortir les « GROENEN », les VERTS allemands. Mais première version, pas les putains vertes actuelles à la FISCHER où à la COHN-BENDIT qui ont rejoint le Système bourgeois-libéral ouest-allemand. Mais le mouvement radical des Années 80.
Le choix des Nationaux-révolutionnaires allemands, qui étaient alors dans la lignée de NIEKISCH notamment, c’est alors de soutenir et d’entrer dans le mouvement des « GROENEN ». Vous aviez par exemple Paul WEBER, un ami de NIEKISCH et de JÜNGER, l’homme notamment qui a fait peut-être le dessin anti-hitlérien le plus fameux. C’est la couverture du livre anti-hitlérien de NIEKISCH, « HITLER, UNE FATALITE ALLEMANDE », un squelette en uniforme de S.A. qui conduit une foule à l’abîme. Et qui sera repris sur plusieurs affiches du PCN contre le « Front National » en 1995-99. Paul WEBER va dessiner les premières affiches des « GROENEN ».
En Belgique, le même mouvement existe mais en beaucoup plus petit. Pourquoi ? Parce qu’il y a moins de pressions psychologiques qu’en l’Allemagne. S’il y a une guerre nucléaire limitée, elle va se passer sur le sol allemand, les Allemands sont directement, profondément concernés. Il y a aussi le problème de la réunification.
En Belgique, on brasse des gens moins nombreux. Le mouvement pacifiste se limite à rassembler les gens qui sont déjà politisés dans les mouvements radicaux. L’épicentre de tout ça, c’est la base de Florennes qui est à une vingtaine de kilomètres de Charleroi, et où doivent être installés les missiles nucléaires tactiques yankee. A Florennes, avec le groupe que j’anime à l’époque, national-révolutionnaire, au sens allemand des Années 1920-33, nous allons manifester, nous tractons, nous rencontrons là-bas d’anciens maoïstes qui sont en rupture du PTB (gauche anarcho-maoïste) notamment.
Nous rencontrons des écologistes qui ne sont pas en train de prendre le tournant régimiste que les Verts belges sont en train de prendre, c’est-à-dire de rentrer dans le Système. De ces rencontres qui vont durer environ une année, va naître le PCN.

* KORNEL SAWINSKI :
Revenons à notre question précédente.
Comment se déploie alors l’activité de THIRIART et du PCN ?

LUC MICHEL : La création du PCN sur le plan humain, c’est la rencontre des restes de l’organisation de THIRIART, des quelques cadres qui lui restent, de son idéologie, avec un encadrement venu des trois milieux nationaux-révolutionnaires, écologistes et maoïstes et qui décident de former une nouvelle organisation politique.
A l’époque, donc, nous menons une politique essentiellement activiste, nous participons aux élections, mais pour la publicité médiatique. Et c’est, notamment, grâce à des tribunes électorales qu’on refait de Jean THIRIART quelqu’un d’actuel, notamment en Belgique.
C’est aussi l’époque, nous ne nous en cachons pas, où nous avons, avec THIRIART un intérêt très fort pour les milieux de guérilla urbaine qui se sont développés en Europe de l’Ouest (Brigades Rouges, CCC belges, Action Directe, etc.), et l’idée de THIRIART à l’époque, c’est que la crise des euromissiles va déboucher sur une crise plus importante. THIRIART, en fait c’est quelqu’un qui dans l’action politique est un peu un blanquiste, c’est-à-dire quelqu’un qui est intéressé par les rapports de force : toute sa carrière, il a cherché ou attendu les occasions de déboucher dans une situation conflictuelle. C’était ce que LENINE appelait le blanquisme, du nom du grand révolutionnaire socialiste français BLANQUI, l’homme des coups d’états socialistes pendant six décennies du XIXe siècle. Nous écrivions notamment pas mal de choses à l’époque et THIRIART aussi, à l’intention des cadres de ces guérillas (43). Nous rencontrons d’ailleurs un intérêt réel – je vous ai remis un article de l’hebdo belge TELE MOUSTIQUE de 1993 sur le PCN (44), vous verrez on parle de ces contacts notamment avec la mouvance d’Action Directe.

* KORNEL SAWINSKI :
Vous publiez en langue russe dès 1983, notamment des brochures et des numéros spéciaux de votre revue « Conscience Européenne ».
Vous aviez déjà des contacts en URSS ?

LUC MICHEL : Bien entendu ! Nous avons donc directement repris dès 1983 les thèses euro-soviétiques de THIRIART et nous sommes entrés en contact avec l’ambassade de l’Union Soviétique à Bruxelles. Nous avons été aimablement reçus. Vous devez savoir que les Russes étaient très méfiants, mais en même temps on était pour eux un peu une divine surprise, parce qu’ils ne disposaient plus du tout de relais d’agitation en Belgique. Le « Parti Communiste Belge » (PCB) est alors en voie de social-démocratisation et son quotidien, LE DRAPEAU ROUGE, à l’époque est, comme toute la presse belge, financé par des publicités payantes de l’OTAN (45) ! Ceci au moment où un vaste mouvement populaire en Allemagne, Belgique et Grande-Bretagne s’oppose aux plans de guerre de l’OTAN. Les anciens communistes s’en vont et LE DRAPEAU ROUGE ne relaie absolument plus. Il y a encore quelques campagnes anti-américaines entre 1980 et 1985, mais sporadiques et honteuses.
Nous avons fait notamment avec les Soviétiques de l’Ambassade de Bruxelles la grande campagne de diffusion de la brochure « QUI MENACE LA PAIX ? », qui a servi à faire aussi un numéro de CONSCIENCE EUROPEENNE (46) – dont une édition spéciale en russe (47). Mais on a surtout diffusé à 100.000 exemplaires la brochure en trois langues dans les manifestations, etc.
C’est comme ça que nous avons rencontré les deux traducteurs russes de THIRIART qui étaient des attachés militaires. Nous avons diffusé par les Editions Machiavel, la maison d’édition du PCN, notamment des TEXTES « EURO-SOVIETIQUES » en Russe (48) en quantités très importantes.
Il y a eu aussi une manifestation directe de l’intérêt que les Soviétiques nous portaient: en 1997, le professeur KNIAJINSKI, le responsable de tout ce qui concernait les affaires européennes, d’unification européenne, au sein du Département idéologique du Parti Communiste de l’Union Soviétique, que dirigeait Boris PANOMAREV, a longuement rencontré THIRIART en 1987 à Bruxelles, et la rencontre a été organisée par le biais des « Amitiés belgo-soviétiques », où THIRIART avait de nombreux amis.
L’ampleur du succès de THIRIART après 1992 s’explique car ses idées étaient déjà connues et par les contacts qu’il y avait. Il a notamment été reçu en entretien privé par Igor LIGATCHEV, qui était l’ancien numéro deux soviétique, rencontre qui fut très amicale. Et il a rencontré ainsi Guennadi ZIUGANOV, qui était à l’époque l’homme qui essayait de relancer le Parti Communiste qui venait d’être interdit, et qui a créé quelques temps après le « Parti Communiste de la Fédération de Russie ».

* KORNEL SAWINSKI :
Comment THIRIART et le PCN vivent-ils la fin de l’URSS ?

LUC MICHEL : Lorsqu’arrive la fin des années 80, nous devons constater que l’activisme évidemment a atteint très vite ses limites, la crise des euromissiles est retombée et en Europe de l’Est c’est le processus suicidaire et irresponsable du Gorbatchévisme qui va conduire à l’implosion du Bloc soviétique puis de l’Union Soviétique elle-même. Nous devons donc à nouveau redéfinir notre action. Notre but au travers de ces différents modes d’actions, d’opération ou d’organisation, c’est de faire continuer, de faire vivre ou de faire exister notre organisation et notre idéologie et de la développer et de la diffuser.
Nous décidons donc deux choses :
d’une part, au niveau interne, qui ne concernait pas THIRIART, de s’implanter comme un parti parlementaire, c’est une période qui va aller de 1989 à 1999,
et nous décidons, en accord avec THIRIART de redéfinir notre idéologie, puisqu’il faut tenir compte de la disparition de l’Union Soviétique, et de l’implanter à l’Est où nous avons des ouvertures.
Je mène avec THIRIART en 1990-92 un travail de redéfinition idéologique qui va malheureusement s’arrêter pour lui puisqu’il décède inopinément en novembre 1992, alors que les premiers résultats étaient très prometteurs, notamment suite à son voyage à Moscou.
Et le PCN, lui mène une triple action (49) (50) :
nous nous développons électoralement, jusqu’à présenter des listes au niveau national, au sénat et aux élections européennes.
Nous menons devant le Conseil d’Etat et la Cour d’arbitrage une série d’actions pour faire modifier notamment les lois électorales, nous faisons modifier la loi sur le financement des partis de façon à favoriser les conditions d’accès, pour les petites formations, dont nous faisons partie.
Et nous menons une action de façon à détruire l’extrême-droite. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque l’extrême-gauche n’existe plus, ne pèse plus politiquement et le mouvement qui mobilise le mécontentement (au profit du Régime), principalement dans la Belgique francophone est l’extrême-droite, le Front National. A partir de 1991, nous nous attaquons donc de façon systématique au Front National mais aussi à des mouvements wallons comme Agir. Notre but est de leur enlever leurs cadres et de les amener dans la politique révolutionnaire, qui est la nôtre, et de les détruire politiquement.
Nous réussissons pas mal, notamment aux élections 1994-95, où nous invalidons des dizaines de listes d’extrême-droite, en utilisant le côté électoral. En 1995, nous faisons interdire la liste du FN au sénat, nous interdisons trois listes et l’élection de trois députés et d’un sénateur du FN, nous leur coûtons le financement de l’Etat et systématiquement nous soutenons, en sous-main, en fournissant des moyens de propagande, tous les gens à l’intérieur de l’extrême-droite qui s’attaquent à la direction du FN.
En 1996-97, c’est le point d’orgue, puisque nous parvenons à faire basculer un de leurs députés, plusieurs de leurs conseillers communaux et provinciaux, et la LIBRE BELGIQUE peut écrire en 1996 « Le PCN a un député ». Je crois que nous sommes d’ailleurs la seule formation politique au monde a avoir accédé au parlement sans jamais avoir gagné une élection.
Le retour de bâton va être immédiat : les élus que nous avons à partir de ce moment-là, nous les prenons en main et systématiquement nous faisons un travail d’agitation qui va rapidement porter ses fruits, il y a notamment pas mal d’articles dans la presse.
La réaction du régime belgicain va être immédiat. Elle va se dérouler dans trois directions : la première est que toutes les actions judiciaires que nous menons contre le Front National ou de l’extrême-droite vont être arrêtées au niveau des parquets, il y a notamment des poursuites pour fausses signatures etc., tout ça va s’arrêter. Les groupuscules d’extrême-droite sont protégés, une campagne de diffamation, vraiment au niveau du caniveau, est menée contre moi, contre notre Parti, en accord avec des groupes néonazis et des parlementaires du système. Nous l’avons fait arrêter en utilisant la justice, mais ce sont des méthodes vraiment inadmissibles. Et aux élections de 1999, c’est la censure totale ; nos listes au sénat ou aux élections européennes ne sont pas mentionnées dans les journaux, LE SOIR, le grand quotidien bruxellois, annonce l’écartement de notre liste aux élections européennes alors qu’elle est présentée. Au même moment, les listes d’extrême-droite, sont de nouveau, comme en 1994-95, présentés avec des fausses signatures, les listes, à ce moment là, sont acceptées.

* KORNEL SAWINSKI :
Vous liez souvent cet aspect de votre combat politique à l’action menée par le KOMINTERN en Allemagne au début des Années 30?

LUC MICHEL : Nous avons effectivement aussi placé notre combat anti-nazi contre l’extrême-droite dans le cadre d’une refondation idéologique. Nous l’avons inscrit dans des racines profondes et historiques, qui est le combat de résistance anti-hitlérien des nationaux-révolutionnaires et des nationaux-bolcheviques allemands dans les années 1930-1945 (51). C’est dès lors en renouant avec leurs racines idéologiques et historiques que les militants nationaux-révolutionnaires ou nationaux-bolchéviques combattent l’extrême droite ou le néo-nazisme.
Ce qui singularise la démarche du PCN, c’est justement de distinguer clairement la direction de l’extrême-droite de sa base militante et de son électorat, dont les membres sont souvent honnêtes et animés d’un sentiment antisystème. Notre but est de les récupérer et de les retourner pour, aujourd’hui combattre l’extrême-droite et demain lutter contre le Système.
La ligne du PCN s’inscrit clairement dans la tactique prônée au début des années 30 par le KOMINTERN pour lutter contre le Nazisme en Allemagne. En 1930, le KPD, le « Parti communiste allemand », publiait sa « Déclaration pour la libération nationale et sociale du peuple allemand » (52) dans laquelle il s’adressait directement aux électeurs et aux militants du parti nazi, en vue de les détacher de ce dernier et de les amener à lutter pour la révolution. Cette ligne, qui fut malheureusement engagée trop tard, rencontra un certain succès et bon nombre de militants récupérés dans les rangs nazis deviendront de bons communistes ou de sincères nationaux-communistes et se sacrifieront dans la résistance contre l’Hitlérisme.
Cette ligne n’était nullement opportuniste ni limitée à l’Allemagne, elle fut l’une des stratégies fondamentales de l’Internationale communiste dans les années 20 et 30. Notamment aussi en Italie, où en 1934, TOGLIATI, le leader italien du KOMINTERN, publiait une Adresse aux militants fascistes. Plusieurs congrès du KOMINTERN furent consacrés à la jonction de la question nationale et de la question sociale qui est une des caractéristiques de la démarche bolchevique. Fait qu’ont oublié nos « communistes de margarine » comme les appelait STALINE, qui sont nombreux dans les rangs de la « nouvelle gauche » recyclée dans la mouvance antifasciste.
Un recueil de textes de LENINE s’intitule d’ailleurs « DE LA LIBERATION NATIONALE ET SOCIALE ». La préface soviétique de l’édition française de ce livre publié en 1986 par les Editions du Progrès à Moscou, précise que « le présent recueil comprend les textes intégraux ou partiels, d’interventions, d’articles, de lettres ou d’écrits de LENINE sur la question nationale, la liaison de la lutte de classe du prolétariat et de la lutte contre l’oppression nationale, de la lutte pour le socialisme et de la lutte anti-impérialiste des peuples asservis pour leur libération ». Il s’agit de textes qui vont de la naissance du « PARTI OUVRIER SOCIAL DEMOCRATE DE RUSSIE » à la mort de LENINE.
Vous noterez aussi que la ligne du groupe « GEGNER » de Schulze-Boysen – le futur dirigeant de l’ « Orchestre rouge » à Berlin – en 1932-33 s’inscrivait dans la même démarche.

* KORNEL SAWINSKI :
Revenons au thème des évolutions.
Comment se réorganise le PCN après 2000?

LUC MICHEL : On en arrive – et c’est important pour la diffusion des idées de THIRIART à l’Est – à l’année 2000, où nous prenons la décision de réorganiser notre PCN en organisation transnationale, en réseau d’action politique.
Nous arrêtons la participation électorale en Belgique mais aussi en France, puisqu’elle est inutile dans ces conditions, et nous nous recentrons sur la diffusion de notre idéologie et la formation des cadres, le développement d’un appareil européen.
Le PCN actuellement agit de façon organisée dans cinq pays qui sont la France, la Belgique, la Bulgarie, la Moldavie et l’Italie, nous avons des adhérents que nous pouvons rendre utiles et organisés grâce à Internet dans huit autres pays. Nous menons tout particulièrement en ce moment une prospective pour nous installer durablement en Russie. C’est l’objet d’une mission de plusieurs mois menée par notre Secrétaire-Général Fabrice BEAUR, de septembre 2008 à mars 2009.
Nous avons une très grosse action internationale, vis-à-vis du monde arabe – vous savez que nous sommes l’un des principaux soutiens de la résistance ba’athiste en Irak (53) (54), nous avons des accords de collaboration avec le Mouvement des Comités Révolutionnaires libyens, dont j’ai reçu lors de la IIIe Convention du MCR à Tripoli en septembre 2004 la charge d’unifier le mouvement pour toute l’Europe en (55), dans le cadre du MEDD, le Mouvement Européen pour la Démocratie Directe. Et nous avons des contacts de plus en plus à très haut niveau en Europe de l’Est : en Russie, en Abkhazie, en Ukraine, en République moldave de Transdniestrie (PMR).
Le but du PCN, c’est quoi à partir de 2000 ? Ca ressemble un peu au PCE de THIRIART de 1965-69 ; nous sommes une organisation de cadres, nous formons des gens, nous recrutons notamment dans les milieux universitaires ; nous publions beaucoup sur Internet, des publications PDF, quelques publications imprimées (dont LA CAUSE DES PEUPLES, vendue professionnellement en kiosques en France), nous agissons un peu comme un think-tank, c’est-à-dire que nous fournissons – notamment en Europe de l’Est – des idées, des thèses, des analyses, et nous avons depuis plusieurs années maintenant, une action militante dans de nombreux pays de l’Europe de l’Est où nous allons appuyer notamment des opérations de politique, pro-russes, nous ne nous en cachons pas, en Abkhazie (56) et en Priednestrovie (PMR) (57) – qu’on connaît improprement sous le nom de Transnistrie –, voilà comment nous travaillons.
Tout cela a relancé les idées de THIRIART, puisque c’est un des piliers de notre doctrine et de notre idéologie.
Je m’excuse de ce long détour, mais il est le seul possible pour rendre intelligible la suite de ma réponse.

* KORNEL SAWINSKI :
Concernant les évolutions de THIRIART, je suppose ?

LUC MICHEL : Oui. Vous me demandiez donc quelles avaient été les évolutions de THIRIART : l’évolution n’est pas au niveau idéologique et théorique, mais parfois au niveau de leur formulation, par exemple, avoir utilisé le vocable Empire euro-soviétique au lieu de Grande-Europe ou Paneurope dans les années 80, pour rendre cette idée populaire dans les milieux soviétiques, mais les grands concepts restent les mêmes depuis le départ, donc ce qui change ce sont les voies. Nous sommes des gens qui cherchons des voies, des voies pour être efficaces, des voies pour être utiles, pour faire progresser notre idée centrale qui est l’unification et la libération de la Nation européenne, de l’Europe de Vladivostok à Reykjavik.
Le problème auquel THIRIART a été confronté est le problème auquel le PCN est aussi confronté depuis ses débuts, c’est-à-dire que nous sommes une petite organisation au regard de nos ambitions, nous sommes une organisation autofinancée, donc nos moyens sont limités. Nous devons donc faire avec ce que nous avons et être efficaces. Nous sommes un exemple relativement rare d’une petite organisation qui a trouvé et prouvé son efficacité. La plupart des petites organisations finissent dans des ghettos groupusculaires et leur action « pédale dans la choucroute », comme on dit vulgairement ou comme je le dirais moi plus élégamment, qui tentent de semer dans la mer. L’histoire de la plupart des petites formations politiques – pourquoi disparaissent-elles au bout de 5 ans, 10 ans, parfois moins – souvent le temps d’une élection – pour d’autres –, c’est parce qu’elles ne trouvent pas de débouchés, pas d’efficacité et qu’à un moment donné leurs cadres et leurs animateurs ont un sentiment d’impuissance, d’inefficacité.
Notre organisation – nous disons « organisation », car nous avons aussi des instituts d’étude, des centres de recherche et des mouvements collatéraux – existe depuis maintenant 45 ans, le PCN lui-même qui est sa forme moderne existe depuis 25 ans et nous sommes toujours là, et nous nous développons et nous travaillons. Nous avons, particulièrement depuis 8 ans, en Europe de l’Est notamment une action efficace, nous menons des campagnes qui ont pesé et nous faisons la démonstration qu’une petite organisation, pour peu qu’elle s’adapte au terrain existant, peut être efficace.
Et nous avons – et c’était déjà le cas avec THIRIART dès 1962 – encore quelque chose de beaucoup plus important, qui est notre influence idéologique. Au-delà de notre action comme organisation, notre influence politique, nous influençons des milieux idéologiques, parfois très éloignés de nous. Il y a des gens qui s’inspirent des idées du PCN, par exemple au Brésil. THIRIART est étudié dans certains pays africains parce que nous l’avons fait connaître par le canal de Tripoli. Nous avons une influence sur des mouvements parfois qui sont très lointains politiquement de nous, et tout ça fait évidemment et nous partons du principe que ça profite à l’idéologie-mère qui est la nôtre, nous ne sommes donc pas embêtés quand des gens copient notre idéologie ou veulent nous imiter ou autre, parce que je dirais qu’ils sèment et nous moissonnons.

* KORNEL SAWINSKI :
Quel héritage existe-t-il selon vous des conceptions de THIRIART d’une Europe de Reykjavik à Vladivostok ?

Luc MICHEL : Ce n’est pas facile de répondre à cette question par une réponse globale. Il y a une influence réelle de THIRIART sur la mouvance national-bolchevique ou national-révolutionnaire, ou THIRIART est l’un des maîtres à penser, parfois mal compris. Et je voudrais vous faire une remarque à ce sujet : de cette mouvance national-bolchevique ne fait absolument pas partie le groupuscule provocateur, lié aux services américains, de LIMONOV en Russie, malgré le nom qu’il s’est donné.
En Europe de l’Ouest, il a une influence indirecte en ce sens qu’un certain nombre des concepts qu’il a développés sont aujourd’hui des concepts débattus au niveau de l’UE.
Il y a une influence de THIRIART sur laquelle je vais revenir, au départ, mais on évoque les idées de THIRIART sans évoquer celui qui les a émises. Dans les années 60, existait en France et en Belgique un courant neutraliste, notamment avec le ministre belge Pierre ARMEL, avec certaines franges du gaullisme et Jean THIRIART a servi un peu de poisson pilote de ces milieux en Europe de l’Est. Qu’on se comprenne bien : ce n’est pas THIRIART qui était au service de ces gens, mais ces gens ont utilisé des thèses et des ouvertures et des idées développées par THIRIART. En Roumanie, il y a eu tout un flirt de CEAUSESCU avec l’Union européenne et en Yougoslavie titiste, il a des portes qui ont été ouvertes par THIRIART et qui ont été reprises par d’autres milieux.
Actuellement, le concept qui est repris dans de très nombreux milieux influents, celui de l’axe Paris-Moscou ou Paris-Berlin-Moscou, c’est directement les idées de THIRIART. Ce concept a été développé pour la première fois à propos de THIRIART et du PCN dans un livre qui a été consacré en 1993 au NATIONALISME RADICAL EN FRANCE par un auteur qui a disparu depuis et qui s’appelle Philippe HERTENS. Le chapitre qui est consacré au PCN s’intitule « Paris-Moscou, les nationaux communistes » (58).
Le thème de l’axe Paris-Moscou a été repris de ce livre. C’est un livre de 1993. Il est développé aussi par Henri DE GROSSOUVRE mais dix ans après. En fait, Henri DE GROSSOUVRE, c’est la gauche néogaulliste. C’est un homme qui se cherche et qui a travaillé aussi bien avec des réseaux de gauche que des réseaux de droite.

* KORNEL SAWINSKI :
Et en Europe de l’Est quel est l’héritage de THIRIART ?

LUC MICHEL : Le deuxième volet ce cet héritage est effectivement l’influence de THIRIART en Europe de l’Est (59a) et singulièrement en Russie, et là c’est une influence énorme, puisque toute l’idée de ce que l’on appelle actuellement l’école néo-eurasiste, pour bien la différencier des Eurasistes des années 1920 et 30, est sortie des thèses de Jean THIRIART sur l’Empire euro-soviétique et sur la popularisation qui en a été faite lors du voyage de THIRIART en août 1992.
On commet un contresens en pensant que ses idées n’ont été développées que par DOUGUINE. DOUGUINE, en fait, s’est emparé des idées géopolitiques de THIRIART et les a amalgamées à tout ce fatras idéologique et ésotérique qui est sa marque de fabrique.
A Moscou en 1992, THIRIART a surtout rencontré ceux qui vont devenir les chefs de file de ce qu’on appelle l’opposition nationale-patriotique ou nationale-communiste. Il a rencontré BABOURINE et le colonel ALKNIS, qui ont été les dirigeants de la fraction eurasiste de la mouvance RODINA. Il a rencontré aussi LIGATCHEV et ZIUGANOV, qui à l’époque cherchaient à faire renaître le Parti communiste, et il a rencontré les chefs de file de l’opposition, notamment KASBOULATOV – qui était alors le président du parlement russe – et PROKANOV (des revues influentes DIENN et ZAVTRA) et qui ont lancé le Front du salut national. Le Front du salut national, c’est la plate-forme politique commune entre les nationalistes et les communistes russes au moment du choc entre ELTSINE et le parlement. J’ai rencontré KASBOULATOV à Tripoli en 1996. Quand ELTSINE a lancé les chars contre le parlement en octobre 1993, il y a eu des centaines de morts – on l’a oublié –, c’était ça la démocratie à l’occidentale d’ELTSINE ; KASBOULATOV a été emprisonné et j’ai fait avec le PCN campagne active pour sa libération à l’époque auprès de nombreuses ambassades (59b). Quand je l’ai rencontré à Tripoli en 1996 (59c), il m’a remercié avec beaucoup d’émotion – cette émotion véritable des Slaves si éloignée de l’émotion de politesse factice des occidentaux – pour l’aide qu’on lui avait apportée.
Les idées de THIRIART sur l’Eurasisme, le néo-eurasisme, etc., elles vont surtout se développer non pas par le canal de DOUGUINE, mais par le canal de ZIOUGANOV, par le canal du KPRF, c’est à dire du Parti communiste de la Fédération de Russie. ZIOUGANOV dans beaucoup de discours évoque l’Empire euro-soviétique, et dans la préface à l’édition italienne d’un de ses livres que je vous ai remis, il évoque directement sa dette idéologique envers Jean THIRIART.
Dans la préface du dernier livre de géopolitique de ZIOUGANOV en italien, « DHERZAVA » – Etat et Puissance –, on fait explicitement référence à la dette qu’il a envers Jean THIRIART. Comme le note Marco MONTANARI dans son introduction à l’édition italienne de « ETAT ET PUISSANCE » (60), « ZOUGANOV a recueilli, renouvelé et développé la leçon de Jean THIRIART, qui dans les dernières années de sa vie avait travaillé à un traité de géopolitique qui devait avoir pour titre « L’Empire euro-sovietique de Vladivostok à Dublin ». Avant de mourir, en 1992, le fondateur de « Jeune Europe » a rencontré Zouganov à Moscou et avait eu avec lui de longues conversations. « Etat et Puissance » est le résultat des ces entretiens entre Zouganov et THIRIART ».
L’influence n’a pas été seulement au niveau de la géopolitique, puisque quand THIRIART est arrivé à Moscou en 1992, il est arrivé avec toute la production idéologique du PCN. Et il a notamment remis deux brochures qui s’appellent LE SOCIALISME COMMUNAUTAIRE (61) et ESQUISSE DU COMMUNAUTARISME (62) que j’ai co-écrites, avec Jean THIRIART et Yannick SAUVEUR. Ces deux brochures ont été immédiatement traduites en Russe et elles ont servi de base à la rédaction du premier programme économique du KPRF (63); et vous y verrez que l’idée centrale du Socialisme communautaire est ce que l’on appelle l’économie pluridimensionnelle. C’est-à-dire qu’il y a un secteur économique que l’Etat doit contrôler : le secteur militaro-industriel, la production d’énergie, les industries stratégiques, mais nous disons par contre qu’il doit exister par contre un secteur privé avec un marché pour, notamment, la production alimentaire. Nous disons également qu’il doit exister divers niveaux de propriété. C’est exactement le type d’économie que développe ZIOUGANOV dans le premier programme économique du KPRF et qui a malheureusement ici été mal compris : on a dit Ziouganov se ralliait à la social-démocratie (sic), non.
Concernant l’idéologie et le programme du KPRF, et c’est particulièrement dissimulé ou méconnu en Europe occidentale, le Communautarisme européen a exercé une influence certaine. J’ai donc personnellement fourni la base du programme économique du KPFR, qui est directement le programme économique du Communautarisme, ce que nous appelons l’ « économie pluridimensionnelle ». Jean THIRIART a fourni les thèses géopolitiques. Encore actuellement Guennadi ZIUGANOV fait référence à l’ « Empire euro-soviétique ».

* KORNEL SAWINSKI :
Vous semblez attacher beaucoup d’importance aux thèses et concepts économiques ?

Luc MICHEL : En effet, car c’est évidemment fondamental. J’ai notamment publié les thèses économiques du Communautarisme (64), de THIRIART et puis les miennes (65), puisque je me suis spécialisé là-dedans, j’ai un intérêt pour l’économie. En fait, elles sont basées sur l’étude d’expériences économiques que sont la NEP au début de l’Union Soviétique, les expériences d’économie socialiste de la RDA – appelées « Communautarisme est-allemand » (66), l’autogestion de TITO, la voie hongroise appelée ironiquement « socialisme du goulash ».
Les thèses économiques de LA GRANDE NATION : L’EUROPE UNITAIRE, qui est la brochure idéologique de THIRIART, dont la première édition est sortie en 1965, sont directement tirées des débats qui ont eu lieu à l’époque, en Yougoslavie, sur l’autogestion ; le vocabulaire et les conceptions viennent de là.
Et ensuite, j’ai personnellement longuement étudié – j’ai vécu pendant 10 ans avec une militante hongroise – ce que l’on appelait les conceptions du « socialisme du Goulasch », la voie hongroise du socialisme qui s’est développée de 1980 à 1990, et qui visait aussi à une économie pluridimensionnelle, dans le cadre de la Hongrie socialiste. Expérience vécue et non pas seulement étude théorique. Depuis le début des Années 80, j’ai voyagé longuement et résidé dans de nombreux pays de l’ex Bloc de l’Est. Et mes compagnes ont toujours été des filles de l’Est.
Mais revenons à notre dujet sur l’héritage de THIRIART à l’Est …
Au cours des années 1990-2000, les idées qui sont celles de THIRIART sur l’Eurasie, la géopolitique, l’opposition entre la terre et la mer, etc. telles que THIRIART les a formulées, vont faire leur chemin. Et ces idées vont se développer et elles vont commencer à contaminer de plus en plus l’ensemble de la classe politique russe.

* KORNEL SAWINSKI :
Vous voulez sans doute parler du réveil russe avec POUTINE ?

LUC MICHEL : Oui ! La divine surprise évidemment, ça a été l’arrivée de POUTINE au pouvoir. A propos de POUTINE, c’est une erreur des milieux pro-occidentaux qui ont cru qu’il allaient continuer les années ELTSINE. Mais ils ont oublié quelque chose, c’est qu’il était un officier du KGB. Le KGB a mauvaise réputation en Europe de l’Ouest, mais vous devez savoir que, en Russie, non seulement c’est un métier honorable, mais que le KGB a toujours été considéré comme ce qu’ils appellent les « organes de l’Etat », c’est-à-dire des gens qui défendent la Nation et l’Etat.
Et POUTINE en fait a restauré la puissance russe, et l’a restaurée à partir des idées qui étaient celles de l’opposition patriotique, non pas les idées de DOUGUINE, qui ont toujours été marginales, mais essentiellement les idées de l’opposition national-patriotique, dont le KPRF de ZIUGANOV était la principale composante.
Pourquoi l’a-t-il fait ? Il l’a fait pour trois raisons :
il y a une raison opératoire. Notez que la principale force politique russe, au cours des années 1990-2000, c’est le Parti Communiste de ZIUGANOV, c’est au cours de ces années que s’opère autour de lui le regroupement de l’opposition, le regroupement des groupes nationalistes, le regroupement des formations d’extrême-gauche, le regroupement des syndicats. A deux reprises, ZIUGANOV est en passe de gagner l’élection présidentielle : en 1996, il faudra d’ailleurs le versement de millions et de millions de dollars par les oligarques, c’est-à-dire l’alliance de BEREZOVSKI et des autres voleurs, pour permettre à ELTSINE que l’on donne battu, de battre ZIUGANOV. Lorsque POUTINE se présente à l’élection présidentielle pour remplacer ELTSINE, ZIUGANOV est aussi très près de réussir. POUTINE souhaite donc neutraliser la principale force d’opposition et il souhaite également aspirer une partie de ses cadres, mais comment le faire ? Tout simplement en adoptant en grande partie son idéologie, en lui prenant des cadres et en suscitant des formations comme RODINA qui s’attaquent au même électorat.
La deuxième raison pour laquelle POUTINE s’empare de ces idées-là est la survie même de l’Etat russe. Dans les milieux qui sont autour de POUTINE, il y a des idéologues, il y a des instituts de recherche auprès du Kremlin. C’est très simple, la restauration de l’Etat russe implique, d’une part, de mettre un terme au morcellement de la Fédération de Russie encouragé par les Américains et implique, d’autre part, que la Russie reprenne le contrôle de ce qu’ils appellent l’ « étranger proche », c’est-à-dire, tout simplement, qu’il s’agit, par un processus pacifique, de rebâtir une forme d’espace soviétique, ce qu’a très bien théorisé Marlène LARUELLE, lorsqu’elle dit « Néo-eurasisme, comment repenser l’empire après l’empire » (67).
La troisième raison pour laquelle POUTINE s’est orienté vers cette idéologie, que l’on appelle en Russie national-patriotique ou national-étatique, c’est-à-dire les partisans de l’Etat ; c’est une raison très simple – il faut se souvenir que THIRIART était aussi un étatiste, la notion centrale de sa construction est la construction d’un Etat puissant – c’est qu’il y a une majorité sociologique en Russie pour ces conceptions, c’est-à-dire un Etat fort qui arbitre, qui défende la population – notamment les russes de l’étranger – et qui assure un minimum de solidarité et de justice sociale. On ne comprend pas cela si on ne comprend pas que l’occidentalisation, dont rêvaient les milieux occidentaux sous ELTSINE n’a pas eu lieu. Il y a une occidentalisation vraiment superficielle qui se limite à une nouvelle bourgeoisie dans quelques grandes villes comme Moscou et Leningrad, mais la base profonde du peuple russe, est restée la base soviétique avec la mentalité soviétique forgée sous STALINE.

* KORNEL SAWINSKI :
Qu’entendez vous précisément par là ?

LUC MICHEL : Cette mentalité est un sujet qui n’est pas étudié, qui est passé sous silence dans les milieux universitaires français et ouest-européens pour des raisons que j’ignore, mais qui a fait l’objet de nombreuses études ailleurs.
Il y a une école américaine qui est spécialisée dans l’étude du national-bolchévisme russe mais qui est occultée ici car elle développe des concepts radicalement différents des universitaires ouest-européens. par exemple Marlène LARUELLE lorsqu’elle parle du national-bolchévisme russe, évoque des milieux marginaux de l’immigration, comme OUSTRIALOV ou les Eurasistes.
Les universitaires américains, eux, parlent du national-bolchévisme russe comme du noyau idéologique du régime stalinien. Ils définissent le national-bolchévisme comme la réalisation d’une société communiste dans un cadre national-soviétique. Ils étudient la mise en place de cette idéologie entre 1924 et 1940 et ils constatent qu’elle a débouché sur une mentalité collective, sur une culture de masse, qui est celle du Stalinisme. Les principaux représentants de cette très importante école américaine, ce sont les professeurs BRANDENBERGER et BRUDNY (68).
BRANDENBERGER a précisément écrit un livre qui s’appelle STALINIST MASS-CULTURE (69) – le terme est éclairant –, et il explique que la mentalité du peuple soviétique, jusqu’à la chute de l’Union Soviétique a été formé par ce national-bolchévisme russe ou stalinien.
Cette mentalité n’a pas disparu, la tentative d’occidentaliser la Russie sous le régime ELTSINE a échoué et la masse profonde du peuple russe est toujours dominée par cette culture de masse stalinienne, il est donc normal que POUTINE lorsqu’il a voulu adopter une idéologie d’Etat ait adopté cette idéologie national-étatique qui fait appel au nationalisme russe, au nationalisme soviétique, aux grandes réalisations de l’époque soviétique.

* KORNEL SAWINSKI :
Quelle est précisément votre vision du National-Bolchevisme, qui est, je pense, bien différente de celle véhiculée notamment par DOUGUINE en Russie ?

Une précision importante tout d’abord, chronologique. Notre vision du National-Bochevisme a été développée dès 1982-83, par THIRIART et moi-même. Soit 10 années avant la version de DOUGUINE et les provocations de LIMONOV.
Et c’est notre courant politique qui a donné une seconde vie politique, organisationnelle, à ce nouveau National-Bolchévisme pan-européen. Toutes les autres versions ont été des récupérations ou des distorsions de notre action idéologique et politique des Années 1980.
On notera enfin que c’est une des revues de notre organisation, L’EUROPE COMMUNAUTAIRE, publiée depuis 1963, par THIRIART puis par le PCN, qui devait évoquer pour la première fois, hors d’Allemagne, le national-bolchévisme allemand et la figure de NIEKISCH dans un article de 1964 !!! Huit ans avant les LANGAGES TOTALITAIRES de Jean-Pierre FAYE, quinze ans avant les travaux de DUPEUX … Et en 1984, c’est encore notre revue CONSCIENCE EUROPEENNE qui devait publier la première étude moderne sur l’Eurasisme, le groupe JALONS, OUSTRIALOV, etc (70). Ceci pour remettre à leur place certains intellectuels littéraires parisiens qui prétendent avoir « découvert » (sic) tout ceci dans les Années 1987-92.
On parle souvent du National-bolchévisme allemand mais on oublie le Russe, et on l’oublie pour une raison très simple : parce qu’il va à l’encontre des théories du monde universitaire franco-allemand. Le grand professeur qui étudiait en France le National-bolchevisme allemand, c’est Louis DUPEUX. Et DUPEUX a travesti l’Histoire, en ne tenant pas compte du National-bolchevisme russe qui a précédé et qui a influencé l’Allemand. Et il n’a pas tenu compte de l’histoire du mouvement allemand après 1933. Pourquoi ? Parce que DUPEUX veut placer le National-bolchevisme allemand dans la perspective de ce qu’il appelle la « Révolution conservatrice » (terme forgé par l’activiste de la Nouvelle Droite Armin MOHLER) (71), c’est-à-dire d’un mouvement qui va des lisières du National-socialisme jusqu’à la droite conservatrice. Il appelle ça « la galaxie conservatrice », et il y place, abusivement et à tort, aussi les Nationaux-bolcheviques et les Nationaux-révolutionnaires. DOUGUINE ne fera que suivre le mouvement.
Nous ne sommes pas d’accord avec cette classification, et pour une raison très simple : il suffit de regarder ce que sont devenus les Nationaux-révolutionnaires et les Nationaux-bolcheviques après 1933. Ce sont ceux qui ont le plus participé, par rapport à leur poids humain, à la lutte contre le Nazisme. Les résistants de « l’Orchestre Rouge » étaient dirigés par des Nationaux-bolcheviques. Le « réseau Niekisch », le « groupe Hielscher », le « groupe Stauffenberg-Treskow » qui a fait le putsch du 20 juillet 44 et qu’il ne faut pas confondre avec les généraux conservateurs du « groupe Goerdeler-Canaris ». C’étaient des Nationaux-révolutionnaires et des Nationaux-bolcheviques ! Tout ça a été occulté.
Le National-bolchevisme russe, lui, naît à la fin du XIXème siècle. C’est une des fractions du Parti bolchevik : la fraction « V Period » (« En avant! », en Russe) – c’est la fraction notamment de Lunatcharsky qui va être Commissaire bolchevik à la culture dans les Années 1920. Et il est intéressant de noter une chose fondamentale: c’est que ces gens ne sont pas l’extrême-droite du Parti bolchevik, mais son extrême-gauche, la fraction bolchévique la plus à gauche à l’époque! Ensuite, le National-bolchevisme russe se développe à la fois en dehors du Parti, dans l’immigration, et dans le Parti, où il triomphe avec STALINE, qui l’impose peu à peu.
Cette analyse n’est pas une création in abrupto du PCN, ce sont les résultats les plus modernes de la recherche universitaire anglo-saxonne qui est plus sérieuse que l’européenne : il y a des écoles universitaires qui n’étudient que le National-bolchévisme russe et elles disent aujourd’hui exactement ce que nous disions déjà il y a dix ou vingt ans. Il y a deux chercheurs particulièrement.
Tout d’abord, le professeur Mihaïl AGURSKI, qui est un « refusnik », un Juif russe qui a immigré en Israël. Il est le fils du responsable de la section juive du PCUS, le Parti Communiste de l’Union Soviétique. Et il a été le premier à étudier largement le phénomène dans un livre qui s’appelle « LA TROISIÈME ROME » (72), qui n’a jamais été traduit en français, alors qu’il est développé d’une thèse présentée à Paris ! Tout simplement parce qu’il dérange l’Université française.
Il y a ensuite un professeur américain dont je vous ai déjà parlé, qui s’appelle David BRANDERBERGER, et qui a publié un livre qui s’appelle « STALINIST MASS CULTURE » et qui définit le National-bolchevisme russe comme l’instauration par Staline d’un « marxisme-léninisme russe dans un cadre national soviétique ». On est tout à fait dans la problématique qui est celle du PCN depuis vingt cinq ans !

* KORNEL SAWINSKI :
Pourriez-vous nous parler des analyses du Dr Dr Alexander YANOV qui faisait en 1996 de THIRIART l’inspirateur des thèses d’ANDROPOV et de la « Fraction nationale-patriote » du PCUS ?
Une analyse qui rejoint vos thèses et fait de THIRIART le père idéologique occulté du renouveau russe …

Luc MICHEL : Il y a effectivement une curieuse analyse, extrêmement bien documentée, publiée en 1996 sous le titre « The Puzzles Of Patriotic Communism, Gennadi Zyuganov, The Russian Milosevic? » (Boston University, USA) (73) par le Dr Alexander YANOV, un analyste lié aux Instituts de recherche américains, et alors bien connu à Moscou.
Le Dr Alexander YANOV est un analyste politique amplement publié en Union soviétique dans les années 50 et 60, il a avec succès défendu sa thèse sur « Les Slavophiles et Constantin Leontyev » en 1970. En 1974, après que son « Histoire de l’Opposition politique en Russie » fut envoyée en Occident, « attirant l’intérêt intense du KGB, on lui a offert le choix entre l’émigration ou la prison ». Il a écrit de nombreux livres et articles, principalement : « La détente après Brejnev : les racines intérieures de la politique étrangère soviétique » (1977) ; « Le drame des années 60 soviétiques : Une réforme perdue » (1984) et « Le défi russe et l’année 2000 » (1987). L’Université de Boston disait de son œuvre en 1996 que « ces ouvrages constituent non seulement le traitement qui fait le plus autorité sur le fil « patriotique » dans la politique contemporaine russe mais une unique approche à l’étude de l’histoire russe ».
Celui-ci appuie indubitablement ma thèse sur d’une part l’influence primordiale de THIRIART comme inspirateur des thèses eurasistes et d’autre part sur leur diffusion par le canal de ZIOUGANOV et pas de DOUGUINE (dont le rôle a été surestimé par Marlène LARUELLE, prise d’empathie, comme jadis TAGUIEFF pour Alain de Benoist).
L’auteur y étudie la montée de la fraction nationale-patriote – opposée à la fraction libérale partisane de la détente – au sein du PCUS depuis 1970, son échec avec la mort d’Andropov, sa résurrection avec le KPRF et ZIOUGANOV. Il y oppose deux Prerestroïka : l’une, nationaliste (qui a échoué en Russie à cause de la mort prématurée d’ANDROPOV, mais qui plus tard a réussi en Yougoslavie avec MILOSEVIC, d’où le titre de l’analyse) à l’autre, libérale, engagée par GORBATCHEV.
En pages 14 et 15, Jean THIRIART, malgré quelques graves erreurs d’appréciation de l’auteur, y est présenté comme l’inspirateur au début des Années 80 d’Andropov et de cette Fraction nationale-patriote du PCUS. Ce qui vous confirme aussi par ailleurs mes dires sur la diffusion de nos thèses dans l’intelligentsia soviétique du PCUS dans les années 80.
Que dit le YANOV de la Fraction nationale-patriote du PCUS et de l’influence de THIRIART sur celle-ci dès 1980 dans « Les puzzles du communisme patriotique : Gennadi Ziouganov, le Milosevic russe ? » : « Leur logique était simple et irrésistible : un empire militaire ne peut pas survivre sans un ennemi et une confrontation permanente. Il n’était simplement pas désigné pour la paix. La détente somnolente brejnévienne le tuait. Non seulement, les « patriotes » avaient la bonne réponse au malaise impérial : c’était la seule bonne réponse (…) Jean Thiriart, s’adressait à Andropov au début des années 80 dans son traité L’Empire euro-soviétique de Dublin à Vladivostok, destiné à devenir le manuel géopolitique des « patriotes » russes modernes. Voici les thèses centrales de Thiriart : (…) « Les maîtres du Kremlin font face à un choix historique. La géopolitique et la géostratégie forceront l’URSS soit à créer une Europe soviétique soit à cesser d’exister comme grande puissance. » (…) La perestroïka nationaliste, victorieuse quelques années plus tard en Serbie, a été vaincue en Russie parce qu’en février 1984 les « patriotes » russes ont perdu leur Milosevic. Dévastés par cette perte, mis dans l’incapacité et démoralisés, ils se sont retirés aux marges de la politique soviétique, dégageant la voie pour une perestroïka libérale ». Et l’auteur ajoute, soulignant le caractère déterminant des thèses de THIRIART, que « Les seules nouvelles idées capables d’inspirer les Russes sans détruire l’empire furent celles du nationalisme impérial (exactement les mêmes que celles qui furent utilisées à la fin des années 80 par Slobodan Milosevic) » (74).
Les thèses de la fraction nationale-patriote sont aujourd’hui celles de POUTINE.
Aucune mention n’est faite de DOUGUINE dans cet article, que Alexander YANOV connaît sans aucun doute, puisqu’il cite par ailleurs les thèses de THIRIART publiées en russe dans le n°1 d’ELEMENTY (ЭЛЕМЕНТЫ , 1992).

* KORNEL SAWINSKI :
Revenons à la situation russe actuelle.
Qu’est-ce qui différencie POUTINE de ZIOUGANOV ?

Luc MICHEL : Ce sont les questions économiques évidemment. Avec la réserve que l’économie libérale sous POUTINE est devenue une économie dirigée par l’Etat, où le Politique domine sans partage les intérêts économiques.
Mais j’en reviens à votre question principale. Je voudrais encore vous dire, évidemment, à propos de cette idéologie de masse, qu’il a existé un laboratoire, c’est le Belarus de LUKASHENKO (75). Vous savez que LUKASHENKO et POUTINE ne s’apprécient pas, ne s’aiment pas du tout, mais vous savez qu’il est le seul homme politique qui ait arrêté la libéralisation complète en Europe de l’Est. Entre 1991 et 1995, le Belarus était en train de suivre un processus comme l’a suivi la Russie d’ELTSINE ou tous les autres pays du bloc de l’Est et les anciennes Républiques Soviétiques : libéralisation, destruction du socialisme, destruction de l’Etat. En parvenant à accéder au pouvoir, par les élections en 1995-96, LUKASHENKO a mis un coup d’arrêt, a préservé le système social soviétique, la propriété d’Etat.
Il a été confronté à partir de ce moment là, à des tentatives répétées de déstabilisation, payées par l’Occident, qui ressemblent aux Révolutions de couleur telles qu’elles ont été menées, en Ukraine notamment ou en Géorgie. La première Révolution de couleur a été menée conjointement au Belarus, où elle a échoué, et contre MILOSEVIC en Serbie, en 2000. LUKASHENKO a été appelé à développer son régime. Son régime ne s’appuie pas sur des partis mais sur des députés, hors parti, sur un contrôle de la société civile. L’idéologie de LUKASHENKO a deux axes : la définition d’une idéologie d’Etat, national-étatique, qui rappelle en plus radicale celle qui est en train d’être définie par le régime de POUTINE et le régime se base aussi sur l’encadrement et la mobilisation de la jeunesse pour empêcher toute tentative d’utilisation de la rue contre le régime. LUKASHENKO a par exemple créé une union de la jeunesse du Belarus, qui a servi visiblement de modèle pour créer un mouvement similaire en Russie, qui s’appelle aujourd’hui NASHI, les Nôtres.
A la base de toutes ces idées, il y a un homme : Jean THIRIART. Si Jean THIRIART n’avait pas été semer dans les années 80, n’avait pas été porté directement à Moscou en août 92 la graine de cette idée, l’opposition national-patriotique russe – des gens comme ZIOUGANOV, mais aussi comme DOUGUINE ou PARANINE – se seraient probablement cantonnés à un bas niveau idéologique. Pour ZIOUGANOV dans un post-communisme nostalgique tel qu’il existe dans certains pays d’Europe de l’Est, ou pour DOUGUINE, une resucée d’un nationalisme d’extrême-droite. C’est THIRIART qui a apporté le ferment de l’idée eurasienne moderne, et cette idée a un immense succès maintenant.

* KORNEL SAWINSKI :
Venons-en à Alexandre DOUGUINE.
Quels sont vos liens intellectuels et personnels avec lui ?
Vous n’êtes pas tendre avec lui.
Pourtant, alors que vous avez la réputation d’avoir la dent dure avec vos adversaires, vous avez à plusieurs reprises parlé de DOUGUINE avec respect …

LUC MICHEL : Nos rapports sont complexes. Ils sont complexes parce que d’une part DOUGUINE a développé et fait connaître une partie de nos idées en Russie, mais d’autre part il a développé d’autres idées qui nous sont totalement étrangères et opposées. Et certains de ses amis en France, en Belgique et en Italie sont nos ennemis radicaux.
C’est un individu d’exception, très intelligent, polyglotte, et je pense aussi à la place qu’il occupe en Russie, où il a été un des intellectuels qui compte. Il a su aussi se dégager de certains milieux politiques extrémistes marginaux et provocateurs avec lesquels, malheureusement, il s’était lié dans les Années 90 dans le cadre du PNB de LIMONOV. Qui lui est aujourd’hui avec KASPAROV et les Trotskistes russes l’une des têtes du mouvement de traîtres « L’Autre Russie », financé par la Washington, qui tente sans aucun succès de lancer une révolution de couleur contre POUTINE en Russie.
DOUGUINE est actuellement très lié aux milieux eurasistes. Des milieux idéologiquement très proches des idées que défend le PCN, et qui traversent toute la classe politique russe non pro-occidentale, c’est-à-dire, aussi bien le parti de POUTINE que Rodina (aujourd’hui disparue), le KPRF, ou des formations extra-parlementaires.
DOUGUINE a eu un mérite immense et nous le saluons pour cela, c’est d’avoir fait largement connaître Jean THIRIART en Russie après 1992. C’est notamment lui qui a écrit le fameux Manuel d’instruction géopolitique des cadets de l’armée russe, dans lequel on parle de THIRIART et de nos thèses « euro-soviétiques ».
La vision de DOUGUINE est proche du PCN sur les fondements à long terme, c’est-à-dire, la conception d’une Grande-Europe sur la base de l’Eurasie, l’alliance avec le monde arabe, le refus du racisme, thème qui est très important parce qu’il existe aussi en Russie, l’alliance avec la Turquie. Je dirais que globalement nous sommes d’accord sur la vision globale sur l’ennemi américain, sur les grandes conceptions géopolitiques de l’Europe.
Ce qui nous sépare par contre, et là c’est un fossé, de DOUGUINE, et nous ne nous en cachons pas mutuellement, ce sont ses conceptions philosophiques. DOUGUINE est un personnage très religieux, il a développé une vision du monde ésotérique depuis EVOLA, GUENON, c’est-à-dire un monde qui est tout à fait étranger au rationalisme jacobin, léniniste et matérialiste qui sous-tend la pensée de THIRIART et la mienne. Notre position vis à vis des Evoliens et des Traditionalistes est claire et nette. Nous n’avons rien à faire avec ces théories incapacitantes et réactionnaires qui ont pollué, malheureusement, une partie de notre mouvance, à partir du début des années 70 et ont détourné de nombreux militants de l’action politique révolutionnaire. THIRIART lui-même était fort en colère contre ces milieux et c’est lui qui nous commanda en 1985 un numéro spécial de « CONSCIENCE EUROPEENNE » titré « Révolution européenne ou Tradition ? » (76) et qui fait un sort aux théories évoliennes, guénoniennes ou encore aux thèses pseudo révolutionnaires de FREDA en Italie.
La deuxième chose qui nous sépare de DOUGUINE, malgré le vocable, c’est la conception qu’il a du « National-bolchevisme ». Pour DOUGUINE, le fondement du « National-bolchevisme », c’est une « métaphysique » qui repose un peu sur ce que je viens de vous expliquer et c’est une certaine conception qu’on pourrait expliquer en termes russes, par l’alliance des Rouges et des Blancs, c’est-à-dire des anciens ennemis de la guerre civile de 1917-21. DOUGUINE pense que l’extrême droite et l’extrême gauche doivent s’unir dans la lutte contre le Système.
Le projet du PCN est évidement tactiquement différent. Nous pensons que seules les forces révolutionnaires doivent s’unir et qu’il faut, justement, arracher les nationalistes de l’extrême-droite et la détruire. C’est cela qui nous sépare, fondamentalement.
Une autre chose que je dois souligner, c’est l’extrême honnêteté intellectuelle de DOUGUINE. Sur les sites de DOUGUINE, on trouve des textes de THIRIART, certains de mes textes, d’autres textes communautaristes, qui sont publiés avec mentions d’auteur, avec mentions d’origine. Cela fait un contraste flagrant avec les méthodes employées par d’autres, comme la « Nouvelle Droite » par exemple. Il y a notamment un groupuscule barbouzard français, qui est assez proche de la « Nouvelle Droite » belge, et qui n’hésite pas à diffuser dans un but de provocation, certains de mes textes mais sans mon nom par exemple. Ce sont des méthodes que je juge scandaleuses et je ne soulignerai jamais assez l’honnêteté de DOUGUINE.
DOUGUINE a lancé un parti qui s’appelle le « Parti Eurasie », qui a malheureusement éclaté en deux fractions. Il y a donc deux « partis Eurasie » (77) , celui de DOUGUINE et celui de Pavel BORODINE, personnage d’un tout autre niveau, qui est l’ancien intendant du Kremlin et le secrétaire-général de l’ « Union Slave », organisme étatique qui unit la Russie et le Belarus du Président LUKASHENKO. Cette Union vise à regrouper le Belarus, la Russie et d’autres puissances slaves dans une unité.
DOUGUINE, dans le cadre de son « parti Eurasie », a renoué épisodiquement des contacts qui avaient été longtemps distendus avec nous, notamment en raisons de conflits politiques irréversibles, non-russes, franco-belges. Et nous avons envoyé un message de soutien au premier congrès de son « parti Eurasie ».

* KORNEL SAWINSKI :
Quel est le chemin parcouru par les idées de THIRIART et du PCN depuis le début des Années 80 ?

LUC MICHEL : Le chemin est considérable. Lorsque THIRIART fait le voyage de Moscou en août 1992, lorsque nous développons des liens avec le Front du Salut National ou le KPRF de ZIOUGANOV, nous sommes en fait avec l’opposition. A l’époque, ce sont les thèses pro-occidentales, c’est le régime d’ELTSINE qui tient le haut du pavé. Nos idées mêmes si elles sont développées par le premier Parti politique russe, qui est celui de ZIOUGANOV, ce sont celles de l’opposition, ce sont celles des minoritaires.
Nous sommes aujourd’hui en 2008, nos idées sont celles de l’appareil d’Etat russe, celles des académiciens, des professeurs d’université, celles de la majorité des députés de la Douma. Ce qui fait le ciment actuellement de la classe politique russe, qui est très unie sur ces questions fondamentales, qu’elle soit avec POUTINE ou qu’elle soit avec ZIOUGANOV .
Quelle est la nature de ce ciment idéologique ? Le patriotisme, la nécessité de s’opposer aux Etats-Unis , l’anti-américanisme comme sain réflexe d’auto-défense, la nécessité d’arrêter la destruction et le morcellement de l’Espace russe, la nécessité de restaurer l’Etat. Et tout cela se fait au nom des thèses de l’Eurasisme. POUTINE, lui-même s’est présenté comme un partisan de l’Eurasisme.
Je vous ai parlé de l’imprégnation idéologique, culturelle, mentale, de la culture de masse stalinienne telle qu’elle a été étudiée par des spécialistes comme le professeur BRANDENBERGER, ces idées sont aussi partagées par les masses russes. Il faut être naïf, comme certains journalistes occidentaux, pour prétendre que ce qui intéresse actuellement le peuple russe est la démocratie à l’occidentale. Ce sont les mêmes qui évoquent comme opposition des gens comme BEREZOVSKI, LIMONOV ou KODOROVSKI, qui sont en fait considérés, à juste titre, comme des ordures par la population russe, qui est très contente de les voir mis hors d’état de nuire. Ce qui intéresse le peuple russe, actuellement, c’est quoi ? C’est la restauration et la préservation de l’Etat, c’est la défense des intérêts des Russes à l’étranger, dans les Pays baltes, en Transdniestrie, en Moldavie, dans certaines Républiques du Caucase, c’est l’arrivée de l’OTAN aux frontières mêmes de la Russie. Vous savez que je suis allé soutenir le Comité anti-NATO d’Odessa en juillet 2007, qui s’oppose aux manœuvres de la flotte américaine dans les ports ukrainiens. Les gens qui étaient là, que j’ai rencontrés, ce n’étaient pas des militants, mais des gens du peuple. J’ai vu des ouvriers, j’ai vu des agriculteurs, j’ai vu des ménagères, des gens qui m’ont dit « il est temps que ça s’arrête ». Il y a une imprégnation du peuple.
C’est ce sur quoi se base la montée en puissance de la restauration de l’Etat par Vladimir POUTINE. La rivalité entre les pro-POUTINE et l’opposition communiste va se faire sur l’économie, mais ils ne vont pas s’opposer sur les axes fondamentaux. Si la majorité de la population soutient les mêmes idées, c’est parce qu’elles représentent les idées majoritaires.
Je voudrais souligner quelque chose qui est très symbolique : vous savez qu’actuellement, il y a un immense mouvement dans la jeunesse russe qui est encouragé par POUTINE et le Kremlin, qui est le mouvement NASHI. C’est le mouvement Les Nôtres. Il se définit comme un mouvement national, démocratique et antifasciste. L’antifascisme, ce n’est pas un vernis, la grosse action de NASHI, actuellement, c’est la lutte contre la résurgence du fascisme en Estonie et en Lettonie, et les mesures d’apartheid – puisque c’est de cela qu’il s’agit –, qui font des citoyens russophones de ces deux pays, des citoyens de seconde zone sans droits civils et politiques.
Le PCN mène lui aussi dans les pays baltes et en Europe de l’Est depuis 1998 une campagne permanente contre la renaissance du fascisme balte et pour la défense des droits russophones (78). Pour une raison très simple, je suis très sensible à ce thème-là, parce que j’ai épousé en 1998 une russe de Riga et j’ai découvert l’apartheid dans lequel vivaient les russophones.
NASHI est un immense mouvement. Plusieurs dizaines de milliers de cadres, 300.000 membres, des opérations partout, et chaque année, ils tiennent au lac Séliger, entre Tver et Novgorod, un grand camp d’été. En juillet 2007 (comme en 2008), il y avait 11.000 cadres, 11.000 jeunes russes présents. La seule délégation non russe, non post-soviétique, qui était invitée à Séliger-2007, c’était celle du PCN, avec des militants français, wallons et moldaves. A Séliger, j’ai donné des conférences, mais également notre Secrétaire-général Fabrice BEAUR et Dominique JOURDAIN qui est notre avocat.
Nous avons vécu de façon spartiate sous la tente, nous avons rencontré des milliers de jeunes russes, et nous avons découvert que notre discours était en phase avec eux. Nous n’avons pas changé, nous disons la même chose, nous, depuis le milieu des années 80. Nous avons découvert des jeunes russes qui partageaient nos préoccupations, qui étaient très surpris de voir formulé d’une façon idéologique, structurée, ce qui est encore chez eux des aspirations confuses. Nous disons que le soleil se lève à l’Est et que l’avenir de notre continent se joue là-bas !


* NOTE 1
Le quotidien belge (flamand) De Morgen écrivait en décembre 2022 : « Michel va désormais agir en entrepreneur géopolitique pour élargir la sphère d’influence russe en Afrique : « un groupe d’entrepreneurs indépendants, nous avons inventé le concept de guerre hybride. Nous travaillons avec la Russie, mais nous ne payons pas pour les services de sécurité. Une guerre hybride se nourrit de différentes manières : militaire, diplomatique et communicationnelle. Je fais ce dernier. « Et puis il y a le Belge, le militant Luc Michel, avec qui tout a commencé. Lui, avec l’idéologue Jean Thiriart (…) avec l’organisation des élections, a façonné les instruments de la reconquête de l’empire soviétique et a créé un espace, de Lisbonne à Vladivostok ». Michel se réjouit des résultats des derniers référendums dans les républiques populaires de Louhansk, Donetsk…

* NOTE 2
Lire ausi :
Esquisse de la guerre hybride. L’action de Luc Michel en tant qu’ ‘entrepreneur géopolitique indépendant’
https://www.palestine-solidarite.fr/esquisse-de-la-guerre-hybride-ix-mon-action-en-tant-qu-entrepreneur-independant/

* NOTE 3
Une précision. Les politologues sérieux, pas les flics de la pensée politique des Universités franco-belges (qui sont souvent des flics tout court, correspondant des polices politiques), classent dans une même catégorie, qu’ils nomment le « National-communisme », des mouvements politiques comme le KPRF russe, le régime de LUKASHENKO au Belarus ou encore le SPS de MILOSEVIC ou la JUL, la « Gauche Unie Yougoslave » de Mirjana MARKOVIC. ET bien entendu notre PCN, qui idéologiquement et politiquement, les a tous précédé de presque une décennie. Lorsque nous étions représentés au Parlement Wallon, en Belgique, dans les Années 1996-98, la questure nous avait étiquetés «national-communistes» (le FN y était étiqueté « extrême-droite »). En 1996-98, nous avions des élus, dont un député, au Parlement Wallon, au Parlement de la Communauté française de Belgique et de 1996 au 1999 au Conseil provincial du Hainaut.

* NOTE 4
« Une tentative du même M. THIRIART (la Jeune-Europe des années 60) a essuyé un échec. Au début des années 80 ses adhérents ont fait une nouvelle tentative: le PCN a été fondé en Belgique (…) Le parti des adhérents de M. THIRIART c’est quelque chose dans le genre de l’Internationale de Marx (…) (A. IVANOV dans ROUSSKI VESTNIK, « Les idées de Jean Thiriart: un commentaire nécessaire », Moscou, septembre 1992).


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